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L’Olympic News s’est entretenu avec Jef Brouwers, Mental Coach du Team Belgium dans le contexte particulier de la crise du coronavirus et de ses nombreuses conséquences dont…bien entendu, celle du report des Jeux de Tokyo au 23 juillet 2021. Jef et son équipe ont eu – et ont encore - de très nombreux contacts avec les athlètes et leur entourage. Tous se posent beaucoup de questions, l’incertitude génère effectivement de l’anxiété et pourrait perturber leur préparation olympique. Quelles réponses les athlètes apportent-ils eux-mêmes à cette situation particulière ? Quels conseils Jef Brouwers leurs donne-t-il ? Ses réponses sont pleines d’enseignement. Découvrez-les dans cette interview.

Quelles attitudes peut impliquer la crise actuelle? Déni, peur, repli sur soi, révolte…?

«Nous pensions ‘ça passera vite’, mais cette épidémie de coronavirus est devenue une pandémie. Des experts se sont exprimés et nous ont avertis que nous allions être confrontés à un défi de longue haleine. Les athlètes ont continué à s'entraîner en vue des qualifications et des Jeux Olympiques. Mais la situation est devenue de plus en plus insoutenable, les entraînements et les compétitions ont été annulés un par un. Cela a provoqué un grand climat d’incertitude parce-que tout ce pour quoi les athlètes s'entraînent a été supprimé. Les réactions émotionnelles n’ont pas duré, comme en témoigne la décision de l'IAAF. Chacun a réagi, en fonction de sa propre situation, aux décisions prises par les fédérations nationales et/ou internationales. Beaucoup se sont demandé ‘Comment procéder à présent (moi y-compris) ?’… et les réponses à cette question urgente se sont fait attendre. Chacun y est allé de son côté et quand l’analyse ne livre aucune explication, l’anxiété monte, et dans certains cas plus rares, c’est la panique. Trop d’hypothèses et d'opinions ont été rendues publiques. La crainte a grandi pour eux-mêmes, pour leur santé, pour les personnes qui les entourent et, devant les restrictions, pour leur avenir dans tous les domaines.
Les entraîneurs ont très bien compris leur rôle de ‘coach mental’. Les fédérations ainsi que l’Adeps et Sport Vlaanderen se mobilisent pour soutenir les entraîneurs. Des dérogations ont été accordées aux athlètes d’élite pour leur permettre d’accéder à certaines infrastructures sportives. Mais il régnait une certaine confusion et les gens n'aiment pas cela. Les athlètes de haut niveau ne le seraient certainement pas s'ils n’avaient pas, ‘de leur propre initiative’, fait preuve de créativité en se contactant les uns les autres, en créant de petits groupes virtuels avec des défis jamais vus auparavant, où le contact virtuel recrée de toute évidence du plaisir. Certains d’entre eux ont commencé à développer ensemble, à un rythme plus soutenu, des programmes qui ont été suivis par des entraîneurs. La créativité est née de l’angoisse car la structure s’est sentie en danger.

Le report des Jeux Olympiques a complété le tableau. Entre-temps, tout le monde est arrivé à la conclusion que les experts avaient raison lorsque la ministre s’est alignée sur leurs recommandations et a repris la consigne: "restez chez vous". Clarté donc concernant les indispensables mesures de prudence. Les athlètes réagissent bien grâce à l'excellente collaboration entre eux et avec les entraîneurs, les fédérations et le COIB prêt en permanence à consulter toutes les parties concernées. »

Cette crise que nous traversons nous fait certainement prendre conscience de notre fragilité et de notre interdépendance les uns aux autres. De très nombreux secteurs sont à l’arrêt pour éviter au maximum les contacts et ainsi endiguer la pandémie. Des personnalités politiques au profil de super héros ont d’abord nié la crise pour ensuite se rendre – bien souvent trop tard – à la raison et écouter les conseils des scientifiques. Y-a-t-il eu des attitudes similaires dans le monde du sport? Le profil d’un athlète de haut niveau n’est-il pas lui aussi centré essentiellement sur lui-même?

«Les athlètes qui sont identifiés à des individus centrés sur eux-mêmes - et qui le sont (devraient l'être) – se distinguent aujourd'hui par leur esprit d’équipe. Nombreux sont ceux qui ont partagé des clips personnels avec d'autres athlètes, assisté et/ou organisé des réunions zoom/visioconférences où une fédération entière a assuré la connexion avec l’ensemble des athlètes et des entraîneurs. Il nous paraît évident que cette situation a mis à jour le meilleur côté des athlètes, pour la plupart dans la même discipline sportive, et plus encore. Aucun commentaire négatif agressif sur les conditions de confinement ou la ‘distanciation sociale’ n’a été porté à ma connaissance; les athlètes s’entraident tout en respectant les distances. On peut dès lors le constater, ils s’en sortent remarquablement mieux que d'autres entités sociales qui ne sont pas encore parvenues/ne parviennent pas à s’accorder. C’est probablement dû au fait qu'ils doivent toujours se concentrer sur les bons objectifs et surtout qu’ils savent que ces objectifs conditionnent leurs performances de haut niveau à la base. Les athlètes d'élite ont également une discipline interne qui leur permet de réaliser leurs rêves. Ils ne s’engagent pas avec d’autres pour éviter une baisse de concentration. Aujourd'hui, ils comptent encore davantage sur l’aide de leurs coaches, ce qui rend la relation avec l'ensemble du staff encore plus intense. Contrairement à certains groupes dans notre société, ils consulteront toujours le spécialiste parce qu'ils se rendent compte à quel point les experts peuvent faire la différence en la matière. Ainsi, pour l’athlète, c’est le corps qui porte la performance, ce qui n'est pas systématiquement le cas pour les autres. J'ose ainsi dire qu'il n'y a pas d'exemples d'athlètes qui, d’une manière ou d’une autre, ont manifesté un manque de confiance à l’égard de la science ou, pire encore, se sont réjouis à quelque titre que ce soit de cette situation. »

Les athlètes savent maintenant que les JO ont été reportés tout juste d’un an. L’incertitude de la période a été levée le 30 mars dernier. Quels conseils donneriez-vous aux athlètes qui vivent cette période – malgré tout - un peu ‘bizarre’? Votre objectif, en tant qu’expert psychologue du Team Belgium, est l’optimalisation des prestations des athlètes. Comment y arriver dans le contexte actuel où beaucoup de choses sont mises à l’arrêt?

« Les athlètes et leurs coaches savent très bien comment gérer la préparation aux Jeux Olympiques suite au report. S'il y a un conseil que je leur donnerais en tant que psychologue de la performance sportive, c'est : ‘fais chaque jour un nouveau plan A, écoute les informations sur l’évolution de la pandémie une fois par jour et partage au maximum toutes tes impressions sur le coronavirus avec d’autres, avec des athlètes surtout’. Psychologiquement, cela permet d’actionner une soupape de sécurité. Aujourd'hui, sur le plan purement sportif, il n'y a rien d'autre à faire que de s’entretenir, mais pour ça, je fais confiance aux coaches. Ce plan A requiert une grande créativité. C’est effectivement mieux d’avoir des propositions de l’ensemble de l'équipe pour éviter que l’athlète ou l'entraîneur ne doive à lui seul se casser la tête en permanence à la recherche de projets stimulants. Le travail d'équipe, le partage de ses to-do’s, l’échange de suggestions et d’idées avec les athlètes d’une autre discipline sportive peuvent apporter de bien grandes satisfactions. Tout comme les enfants tirent avantage à pratiquer plusieurs sports différents, les adultes "confinés" et les athlètes d'élite ont tout intérêt à ‘frapper à la porte’ pour voir s'il y a un projet intéressant à rajouter à leur programme/. Les vidéos, les blogs, les vlogs, la publication d'articles sur les réseaux sociaux, pour ne citer que quelques exemples, éliminent l’énorme ennui qui caractérise une situation d'isolement. Planifie des choses que tu n'as jamais faites jusqu’ici parce que tu n'as pas pris ou pas eu le temps de les faire. Fais ce que le Docteur Bellemans a dit à Belek à propos des blessures: “n'accepte jamais d’entendre 'tu ne peux rien faire dans les prochains mois', mais dis-toi 'Oh, ÇA je n’arrive pas physiquement à le faire, mais je peux lire des biographies de ‘serial winners’, aussi prendre le temps de noter tout ce dont je suis capable, me souvenir et décrire comment j'ai réalisé CETTE super performance, qui je peux contacter pour une téléconférence afin d’avoir un peu d'inspiration, ... parce qu'une téléconférence, c’est mieux qu'un simple coup de fil et bien mieux qu'un mail”. C’est ainsi tous ensemble que nous ferons du TEAM BELGIUM une équipe encore plus solide et que nous pourrons nous remettre immédiatement au travail dès que nous y serons autorisés, avec toute cette énergie accumulée. Entre-temps, continuez à prendre soin de votre corps et surtout, continuez à vous amuser, à vous détendre car cela dissipe tout stress. Et rappelez-vous encore: il est capital de respecter les consignes pour sauver des vies. Et les athlètes de haut niveau sont les meilleurs quand il s’agit d’adopter une bonne hygiène de vie. C’est aussi la raison pour laquelle ils ne s’arrêteront pas avant la reprise des grandes (et des petites) compétitions. Ce sont les athlètes eux-mêmes qui garderont la maîtrise de l’agenda et qui décideront de s’arrêter quand ils le jugeront utile. »